des idées derrière la tête
C’est une habitude désuète, soit. Mais les objecteurs de croissance traînent depuis si longtemps l’étiquette d’incurables nostalgiques que nous ne résistons pas à vous envoyer trois cartes postales de notre si beau pays, en cet été 2015.
La première a été postée début août depuis les Grisons. Elle porte la signature de Pascal Jenny, directeur de l’Office du tourisme de la station de ski d’Arosa, et annonce la création d’une nouvelle formation politique : le « Parti-tourisme.ch ». À défaut de présenter des listes en octobre, Jenny et ses confrères s’engagent à renforcer le travail de lobbying à Berne, sommant les politiciens de « dire publiquement ce qu’ils font pour le tourisme ». L’initiative pourrait être considérée comme le résultat d’une insolation – n’y a-t-il pas assez de touristes parmi nos élu(e)s ? – si ce n’était le poids économique de la branche (16,2 milliards et 170’000 emplois) qui en fait une véritable industrie lourde. Et dire qu’on venait à peine de se débarrasser du glorieux parti des automobilistes, presque entièrement absorbé par l’UDC…
La deuxième carte postale nous vient du Service d’Etat aux Migrations (SEM), qui vient d’octroyer un financement pour la réalisation d’une série de mini-films qui « doit être crédible mais divertissante, à l’image d’une sitcom ». Nos amis les fonctionnaires fédéraux entendent ainsi « fournir aux personnes qui souhaiteraient quitter le Nigeria une image réaliste de la Suisse ». En 2007, Berne s’était déjà distinguée avec un court-métrage qui mettait en scène un jeune Camerounais racontant à son père, resté au pays, que tout allait bien et qu’il s’était inscrit à l’Université, alors qu’il dormait sur le trottoir et mendiait. En matière de campagnes dissuasives, la Suisse rivalise ainsi avec le Danemark (« Vous ne trouverez pas le bonheur chez nous ») et l’Australie (« Pas question. Vous ne ferez pas de l’Australie votre maison », écrit en rouge sang au milieu des vagues, face à un bateau de passeurs).
La dernière carte montre une superbe île grecque, celle que le député UDC tessinois Pierre Rusconi a proposé à la Confédération d’acheter, pour « soutenir le peuple grec, offrir aux Suisses un accès à la mer et y construire un centre sportif national ». L’idée a rapidement séduit l’un des ses collègues de parti, le St-Gallois Lukas Reinmann, qui aurait toutefois mieux aimé s’en servir pour y expédier nos refugiés.
Tard dans la nuit, peu avant le bouclage, la rédaction de Moins ! se met à rêver de lancer un parti-asile.ch (électoralement encore plus porteur que les idées de la décroissance, c’est dire) et de recycler les slogans des SEM suisse et danois pour les afficher à l’entrée de tous les offices du tourisme. Quant à nos deux génies démocentristes, ils ont été, eux, « démocratiquement » élus : formulons le vœu pieux que le dossier central de ce numéro puisse contribuer à éviter d’autres déconvenues semblables.